Depuis le 1er mai 1993, le débat passionne dès qu’il est porté : l’ancien Premier ministre Bérégovoy s’est-il vraiment suicidé ? Pour en finir avec cette lancinante question, le journaliste Eric Raynaud a enquêté cinq ans. Sa réponse est non.
Dans son document qui se dévore en une nuit, comme un polar, Eric Raynaud égrène chacune des incohérences de cette affaire sensible : l’emploi du temps le 1er mai, les deux détonations, la trajectoire de la balle, la position du corps, les contradictions des témoins, la mise sous écoutes téléphoniques du député maire de Nevers, la disparition de l’agenda Hermès qu’il avait rangé dans sa poche comme l’attestent les images de France 3, la peur de son entourage, les cambriolages qui ont précédé sa mort, le refus opposé à Gilberte Bérégovoy qui jusqu’à son dernier souffle demanda un exemplaire du rapport d’autopsie… « Ce ne fut pas facile, mais beaucoup de gens ont accepté de se confier, » précise l’auteur qui, à son tour, a subi des pressions au point de plusieurs fois faire intervenir la police de Nevers.
Par objectivité, il remet en perspective la thèse d’un Bérégovoy « livré aux chiens », les journalistes qui avaient révélé l’existence du prêt amical d’un million de francs par Roger-Patrice Pelat, soupçonné de délit d’initiés dans le scandale Pechiney. Mais il bat la thèse en brèche. D’où le trouble qui s’empare du lecteur…
(*) Un crime d’Etat ? La mort étrange de Pierre Bérégovoy, Eric Raynaud, éd. Alphée Jean-Paul Bertrand, 254 p., 19,90 euros.
Le journaliste Gérard Carreyrou évoque rarement l’intimité des liens qui l’unissaient à Pierre Bérégovoy. Pour FranceSoir, il revient sur les derniers mois, les derniers jours de la vie d’un homme profondément blessé. S’il n’a jamais douté que l’ancien Premier ministre se soit suicidé, il admet que les conditions matérielles de sa mort sont troublantes.
FRANCESOIR. Comment êtes-vous devenu l’ami de Pierre Bérégovoy ?
GÉRARD CARREYROU. Nous nous sommes connus en 1962, au PSU (Parti socialiste unifié, un temps dirigé par Michel Rocard, NDLR) alors que nous militions contre la guerre d’Algérie. Nous collaborions à Tribune socialiste et, à l’issue de notre réunion hebdomadaire, il me ramenait chez moi. Un soir, il m’a présenté à son épouse et, très naturellement, nous sommes devenus amis. Nous sommes restés extrêmement proches durant toute notre vie. Jamais notre amitié ne s’est démentie.
Que pouvez-vous dire de l’homme, si discret ?
Pierre était un être simple, pudique et réservé. Il n’étalait pas ses éventuels états d’âme. Longtemps, il fut en politique un homme de l’ombre et cela lui convenait.
Vous écrivez un film sur sa dernière année de vie (*). Etait-il dépressif ?
Jusqu’aux révélations du Canard enchaîné sur le prêt d’un million de francs que Roger-Patrice Pelat lui avait consenti, Pierre n’avait aucun problème. Comme tous les hommes politiques, il traversait parfois des moments difficiles mais rien ne l’avait atteint personnellement, pas même l’affaire Pechiney. La veille de la parution de l’article, il m’a appelé à TF1, il m’a dit « viens me voir ». J’ai bondi et je me suis retrouvé face à un homme désemparé. Alors que j’étais encore dans son bureau, François Mitterrand lui a téléphoné. Le Président lui a dit : « Tout cela n’a aucune importance. » Pierre a repris pied ; Mitterrand l’avait provisoirement requinqué.
Cet article l’a donc profondément déstabilisé ?
Oui, son moral en a pris un grand coup. Il était très atteint, notamment parce que cette histoire de prêt, qui n’était pourtant pas illégal, le poursuivait sur le terrain : quand il croisait des syndicalistes, il y en avait toujours un qui criait : « T’as pas 100 briques ? » Un soir, il est venu à TF1 et s’est laissé tomber sur mon canapé ; là, précisément, j’ai vu un homme accablé. Il avait l’impression que jamais il ne se relèverait de « l’erreur Pelat ».
Il avait aussi d’autres soucis, notamment après la défaite des socialistes aux élections législatives de mars 1993…
Oui, parce que beaucoup de ses camarades en ont fait un bouc émissaire. Il était Premier ministre depuis un an, donc, si la gauche avait perdu, c’était « la faute à Béré ». Il a été exclu par les membres de son cercle politique. Il en souffrait. Cet homme était très sensible. Il n’avait pas les nerfs d’acier qu’exige ce métier-là. Il n’était pas assez solide pour affronter une telle période. Quatre jours avant sa mort, lors de notre dernière conversation, il redoutait qu’on l’assimile désormais à un type corrompu et malhonnête ; pour lui qui ne l’avait jamais été, cette idée était insupportable. Je n’ai pas eu ce jour-là l’impression qu’il allait se tuer mais, à cause de tout ce qu’il subissait, son suicide ne m’a pas étonné.
Vous avez toujours cru au suicide ?
Oui, pendant quinze ans, je n’ai pas eu de doute. Je dois cependant admettre que le livre d’Eric Raynaud m’a ébranlé. Il pointe de nombreux éléments troublants sur les conditions matérielles de la mort de Pierre Bérégovoy : l’absence d’expertise balistique, l’utilisation du 357 Magnum, l’autopsie… Cet ouvrage souligne qu’il y a, effectivement, beaucoup de mystères, beaucoup de « pourquoi ».
Remet-il en cause vos convictions ?
Fondamentalement, non. Je ne vois pas pourquoi on l’aurait assassiné. Certes, il savait des choses, sur la corruption politique notamment, mais Pierre n’était pas homme à balancer. Il était un ex-Premier ministre, plus en état d’intervenir sur le cours des choses. C’était un homme fini.
(*) Gérard Carreyrou participe à l’écriture d’un docu-fiction pour France 2. Un homme d’honneur, produit par Clémentine Dabadie (Chabraque Productions) et Laurence Bachman (Barjac Production), devrait être diffusé à l’automne.
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