Il a le visage creusé par les rides mais l’œil est toujours malicieux. A 85 ans, Jean d’Ormesson n’a rien perdu de son esprit vif et joyeux. Son nouveau livre, le joliment titré C’est une chose étrange à la fin que le monde (d’après un vers d’Aragon), caracole dans la liste des best-sellers de l’automne avec plus de 60.000 exemplaires vendus – plus fort qu’Amélie Nothomb, Laurent Gaudé ou Olivier Adam ! Il n’y a guère que Michel Houellebecq qui parvienne encore à devancer ce « jeune homme » au sourire ravageur.
« Sans doute donnerai-je mon corps à la science »
Au fil de cet ouvrage, le romancier revient avec son élégance coutumière sur les grands mystères de l’existence : le progrès de la science, l’hypothèse de Dieu, mais également – et c’est chose plus rare chez lui – le mystère de la mort. «
Tout peut être mis en cause – le savoir, les arts, la politique –, sauf la mort », explique l’Académicien, devant un café.
«
La mort est la seule chose dont nous soyons sûrs, et pourtant nous n’en savons rien ! » Le paradoxe ne semble toutefois pas effrayer cet infatigable optimiste, qui n’avoue qu’à demi-mot sa croyance en Dieu. «
Je ne crois pas à la vie après la mort, ni à la résurrection des corps. Cela dit, je n’ai pas non plus peur de disparaître. Mourir, ce doit être embêtant, je ne ferai sûrement pas le malin à ce moment-là. Mais ce doit être délicieux. On n’a plus à se soucier de sa place dans la liste des best-sellers, on est libéré de la peur de rater le train, ou de toutes ces amours malheureuses qu’on ne parvient pas à oublier… »
Alors que tant d’autres tentent de parer à cette angoisse par une débauche de préparatifs, Jean d’Ormesson confesse ne pas avoir encore songé à ses dernières volontés. « Je ne sais même pas si je voudrais être enterré. Sans doute donnerai-je mon corps à la science », souffle-t-il avec facétie.
«
Ou bien je me ferai incinérer, et on répandra mes cendres à Venise, sur la Douane de mer… ». Quant à son épitaphe, sa mémoire des citations lui laisse un large choix : «
J’ai déjà pensé à deux sentences qui me plaisent bien. L’une est de Tristan Tzara, et elle dit : “L’absence de système est encore un système mais le plus sympathique”. La seconde est un peu plus ancienne, elle nous vient de Crillon, le vieux compagnon d’Henri IV. Celui-ci avait fait écrire sur sa tombe : “Le roi l’aimait ; les pauvres le pleurèrent”. C’est assez bien, non ? »
C’est une chose étrange à la fin que le monde, par Jean d’Ormesson, Robert Laffont, 313 p., 21 €