France-Soir - Pourquoi avoir demandé à votre fille, la comédienne Deborah Grall-Noiret, de rédiger quelques chapitres ?
Frédérique Noiret - Il n’était pas imaginable qu’elle soit tenue à l’écart de ce qui est avant tout le témoignage d’une filiation. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la naissance de ma fille a fait prendre conscience à mon père qu’il avait créé une famille. Une chose qui lui avait été totalement étrangère jusque-là. Je suis devenue sa fille le jour où j’ai moi-même donné vie.
F.-S. Avec le recul, comment expliquez-vous qu’il vous ait manifesté si peu d’amour pendant si longtemps ?
F. N. Tout simplement parce que je suis née alors qu’il n’avait que 30 ans. Il ne se sentait pas prêt à assumer la paternité. Il le disait lui-même : je suis trop petit pour une telle responsabilité. Et puis, il était empli de doutes, il n’avait aucune confiance en lui. La dose d’amour qu’il était en mesure de donner, il ne pouvait l’offrir qu’à une seule personne, son épouse, ma mère, la comédienne Monique Chaumette. Pour autant, je n’ai pas souffert éternellement d’un déficit affectif de mon père. Nous avons simplement mis du temps à nous parler, à nous connaître. J’ai dû attendre l’âge de 10 ans avant que le déclic se produise. Une chose est certaine : tout ce que nous avions à nous dire, nous nous le sommes dit.
F.-S. Pendant cette période de non-compréhension, quel rôle a joué votre mère ?
F. N. Elle a heureusement tenu un rôle central. Mais, tout comme mon père, elle a toujours été une grande pudique ; elle n’a pas manifesté ses sentiments aussi intensément que je l’aurais voulu étant petite fille.
F.-S. Lorsque vous êtes entrée dans la profession en devenant d’abord assistante de réalisation, il semble que le regard de votre père a de nouveau évolué.
F. N. J’entrais dans son univers, celui pour lequel il vivait nuit et jour. La fierté qu’il a exprimée en me voyant pénétrer le milieu du cinéma a aussi été le grand signe de reconnaissance que j’attendais.
F.-S. Aujourd’hui, vous êtes agent artistique. Avez-vous choisi un métier de l’ombre pour préserver votre fille des affres que vous aviez connues ?
F. N. Pas du tout. Ce métier correspondait à mes aspirations, moi qui ne me suis jamais senti aucun talent pour la comédie.
F.-S. Comment pouviez-vous être certaine de n’avoir aucune capacité pour un métier que vous n’avez jamais exercé ?
F. N. Sans doute parce que, inconsciemment, l’immensité du talent de mes parents m’a incitée à ne pas tenter de mettre mes pas dans les leurs.
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Philippe Noiret de père en filles, 266 p., Michel Lafon, 17,95 €.
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Propos recueillis par Stéphane Haïk