La grande galerie de la BNF (Paris XIIIe) présente, depuis le 30 septembre, 36 tirages argentiques réalisés par le cinéaste et photographe français dans une exposition intitulée «
La France de Raymond Depardon ». Après son tour du monde en 14 jours ou encore son triptyque sur l'évolution du monde paysan français, il rapporte aujourd'hui un pays fait de bars, de cafés, de sous-préfectures, de commerces périurbains, de maisonnettes modestes.
Le projet a démarré en 2004 et a été réalisé, en un an, sur plus de 7 000 kilomètres à travers l'Hexagone. «
J'ai choisi de travailler sur les zones faibles, celles auxquelles on ne prête pas attention, celles que souvent on n'aime pas voir », explique le photographe.
Couleurs : du neutre au politique
Sillonnant les routes en fourgon aménagé, le photographe a pris 7 000 clichés à l'aide d'une grosse chambre 20x25, offrant une vision frontale. Habituellement adepte du noir et blanc et des clichés humanistes, ici, les couleurs et les lumières sont neutres.
Il a choisi d'illustrer cette «
France du milieu » ou «
de l'entre-deux », plutôt que celle du monde agricole (déjà fait) ou de celle des banlieues car pour cette dernière il s'agit d'un autre type de travail qui «
demande à être introduit ».
D'après ses observations, la couleur rouge est désormais très présente dans le paysage français. Parti du nord, il semble selon lui gagner le sud, telles l'attestent les nombreuses devantures de cafés carmins qu'il a pu croiser. «
Ce sont des couleurs presque politiques. Elles disent ''je veux exister" », considère Depardon.
Paysages distants
Pour réaliser
La Vie Moderne (2008), dernier volet d'un triptyque sur le monde paysan, il
nous confiait dans une interview son tiraillement, en tant que fils d'agriculteur, entre un sentiment autobiographique et son objectivité journalistique. Il expliquait que ce duel incombait forcément à l'ensemble de son travail et à celui de tout autre professionnel.
Ici, son regard le rattrappe encore. Pour ce nouveau sujet, il avoue une certaine nostalgie et un petit «
faible », selon ses dires, pour le style des «
années 50 » qui ont inspiré ses clichés d'une France de son enfance.
Mais il s'est attaché à ne pas faire du «
pittoresque régional » et explique le recul de sa démarche. «
Cette distance que je me suis imposée, techniquement et formellement, m’a permis de passer au-dessus des spécificités régionalistes et d’essayer de dégager une unité : celle de notre histoire quotidienne commune », explique le photographe sur le site de la BNF. Celle dont on ne parle «
que lorsqu'il y survient un fait divers ou une catastrophe naturelle », poursuit-il. Une France «
pas très gaie » mais «
pas déprimée » pour autant, estime encore le photographe.
Cinéaste et photo-reporter depuis ses débuts en 1960 dans
Paris Match, en passant par son entretien-photographique exclusif avec le commandant Massoud en 1978, jusqu'à son film
10e chambre, instants d'audience (2004), il a touché à tous les sujets en matière de documentaire. Alors en bon féru du genre, il vient de participer, avec ses amis de l'agence Magnum, à l'ouverture d'un nouveau lieu d'exposition dédié exclusivement au documentaire dans toutes ses formes (photos, vidéos...), appelé
Le BAL (Paris XVIIIe). Le premier thème exploré est la représentation de l'anonymat en Amérique du Nord, évoquant la solitude extrême à l'ère de la consommation de masse. Un sujet, certes, loin de l'architecture française exposée à la BNF mais qui se situe dans la même veine humaniste que les paysans de Raymond Depardon.
La France de Raymond Depardon à la BNF, quai François-Mauriac (Paris XIIIe), jusqu'au 9 janvier 2011.
@Raymond Depardon, Magnum Photos
Par
Stéphanie Villeroy (avec Agences)